On aurait pu me dire mille et une chose mais que j'eus un jour des frères ? Jamais ▬ Val && Nelle

“Tout seul tout le temps” – Laurent Voulzy.


J’aurai aimé croire à un beau futur, mais parfois, je remets réellement en doute mes décisions. Surtout en ce moment, non je n’étais pas enceinte, encore heureux, je ne pense pas que Johan soit heureux d’apprendre que les rares fois où il arrive à m’attraper, il arrive aussi à mettre un polichinelle dans le tiroir. Pauvre gars, il n’arrivait jamais à m’avoir autre, que dans les grands moments, et pourtant Dieu savait que je tenais à lui, il avait été mon double depuis que j’étais ici à Amsterdam, un an et demi, deux ans. Avant que j’habitais en petite province. Non loin d’Amsterdam non plus, la preuve j’allais déjà au collège à Amsterdam. Si la neige commençait à tomber, je restais tout de même au bord de la jetée, j’attendais tranquillement mon frère. Oui, ça faisait peu que ce mot s’était accordé à mon vocabulaire, mais il avait pris tout un sens. Tout comme père avait pris un nouveau sens dans mes mots. Le bord du fleuve était encore parsemé de quelques peintres, malgré la neige, assise sur un des bancs nombreux, je tentais difficilement de mettre mes pensées au clair, le sac de cours sur mes genoux. Mes cheveux couverts de mon bonnet noir, et portant une jupe noire et un chemisier blanc recouvert d’un manteau également noir. Mon écharpe essayait de recouvrir ma bouche pour pas que je prenne froid, les lèvres, gercées c’a n’avait jamais été mon grand délire. Petite j’étais horrible avec ça, m’endormant avec plus de beurre de karité que personne. La neige se faisait douce au dessus de nous, malgré de grosses chutes prévues d’ici quelques jours, je n’en voyais pas la couleur, même le soleil semblait percer pour nous dire « Non, je ne vous abandonne pas, je suis encore là mes enfants. » Les peintres continuaient à peindre avant que la nuit ne tombe sur Amsterdam, les journées étaient courtes, je n’avais aucune envie de continuer avec cette période, autant passer Noël et la Nouvelle année rapidement, pour retrouver l’été au plus vite. Oui, je voulais voir rapidement le mois de mars arrivé avec ces bourgeons. Même si j’aimais le mois de décembre, c’était un peu particulier pour moi, il y avait mon anniversaire, puis Noel, et enfin Nouvel An, mais après c’était long une année pour attendre ces trois évènements. Enfin, peu importe, je voulais de la chaleur, et à nouveau des vacances. J’avais envoyé un message à Valentijn il y a de cela une dizaine de minutes pour savoir s’il voulait passer quelques moments avec moi, avant qu’il reprenne le travail. J’aimais avoir du monde autour de moi, la solitude ce n’était pas pour moi, quand j’étais petite j’invitais toujours pleins de gens pour être en paix, et puis le temps avait laissé passer l’adolescence, et puis du jour au lendemain, j’avais remarqué que l’on pouvait se retrouver seul du jour au lendemain. Quand ma mère était partie avec son nouvel ami, moi j’étais parti découvrir ma famille paternelle chacun son truc. Je vis une forme d’un homme que je connaissais plus ou moins bien désormais d’ailleurs en parlant de la famille paternelle que j’avais. Mon frère avait décidé de me rejoindre, je me levais à sa rencontre avec un sourire. « Heureuse que tu es pu me rejoindre quand même. »

Le destin avait fini par en avoir marre de mon éternel sourire. Je ne sais pas, je couvais peut-être quelque maladie me déprimant, ou bien c’était cette histoire avec le mariage de Pandora qui me perturbait, ou alors Andreas qui faisait tout pour me pourrir la vie. D’accord, les malheurs des autres ne m’ont jamais empêché d’être heureux, mais en ce moment, tout était très bizarre. C’était peut-être cette neige qui ne cessait de tomber qui me déprimait. Le boulot ne m’apportait guère plus de satisfaction, si ce n’était les quelques sujets de marché de Noël et compagnie qui se glissaient parmi les attentats, les conflits et les enquêtes policières. J’aurais mieux fait de prendre congé pour les vacances d’hiver. Cependant, le simple fait de me rappeler Gregor devant la télévision m’aidait à aller travailler. Au bureau, la secrétaire du patron m’apporta un café et, pour la première fois, son air de petit lutin me donna envie de l’étriper. Evidemment, je me contentai de la remercier. Je n’écoutai que la moitié du briefing, préférant faire une dépression en regardant la neige par la fenêtre. Espérons qu’il y ait une panne de courant sur le plateau ce soir, je n’aurais pas à lire le prompteur. Bon sang, ce costume satiné me sortait par les yeux. Mon patron me demanda plusieurs fois si tout allait bien, je lui répondis que oui en soupirant à chaque fois. Ma bonne humeur m’échappait, et je détestais me sentir comme ça.

J’avais quitté le bureau à midi, afin d’éviter le déjeuner avec les collègues trop bruyants, surtout les femmes qui faisaient régime. Ce n’était pas avec un carré de chocolat qu’elles allaient prendre dix kilos, même si elles semblaient le croire. Je me réfugiai dans le café le plus proche et me commandai un chocolat chaud et trois cookies énormes pour me consoler. Oui, pour le repas de midi. La serveuse me fit les gros yeux et j’haussai les épaules. Elle n’allait pas me dire ce que je devais manger ou non. Je m’assis ensuite à une table et entrepris de lire un magazine people tout en entamant un de mes biscuits. Ils n’avaient rien de plus débile à proposer comme lecture ? Enfin, je n’avais pas envie de me plonger dans un journal sérieux pour l’instant. Je reçus alors un message de ma sœur. Demi-sœur. Elle voulait que je la rejoigne sur le bord du fleuve. Je fus d’abord tenter de refuser, vu que dehors, je me transformais littéralement en bonhomme de neige, mais au final, je me dis : pourquoi pas ? Cela me changerait les idées.

J’étais sorti du café après avoir bu d’une traite mon chocolat chaud et j’avais embarqué les cookies avec moi. Dès que je rentrerais à la maison, je ferais un feu dans la cheminée qui n’avait encore, jusque-là, jamais servi. Je marchai durant une dizaine de minutes puis j’aperçus enfin Nelleke assise toute seule sur un banc. Il y avait des peintres – sans doute allumés – qui avaient eu le courage de venir se poser là. J’adressai un sourire à ma jeune demi-sœur avant de lui tendre mon paquet de cookies. « T’en veux un ? Je n’ai pas beaucoup de temps, tu t’en doutes. Tu veux me parler de quelque chose en particulier, peut-être ? »

Je lui proposai un cookie qu’elle accepta instantanément avant de m’asseoir sur le banc qu’elle occupait la minute d’avant. J’étais épuisé, je ne tenais plus debout. Elle me demanda alors si c’était moi qui avais fait ces cookies, et je lui adressai un maigre sourire. « Non, ceux-là, ils ne sont pas de moi. Il n’y a pas de cuisine au bureau, malheureusement. Bref, c’est pour ça qu’ils ont un arrière-goût bizarre. Mais bon, ce sont les meilleurs du coin, si tu veux mon avis. Après les miens, cela va de soi. » J’aurais dû devenir pâtissier, j’aurais eu une vie bien plus insouciante. C’était difficile d’ignorer les informations peu réjouissantes en étant présentateur à la télévision, en étant pâtissier, je ne me serais intéressé qu’aux récoltes de fruits et aux cours du cacao. J’aurais pu aussi monter mon propre restaurant, mais c’était fort compliqué de percer dans ce milieu. Enfin, j’aurais pu engager Gregor comme serveur, il aurait eu un travail, au moins. Enfin, où aurais-je trouvé l’argent, de toute façon ? Il aurait fallu que je commence tout en bas de l’échelle que j’escalade tout ça, et cela m’aurait sans doute franchement agacé. Je n’étais pas fait pour pousser les autres afin de me faire une place, moi j’étais le genre de gars qui laissait les gens passer devant lui avec un immense sourire. Foutue bonté. Enfin, je ramenai mon attention sur ma sœur, parce qu’après tout, c’était pour elle que j’étais là. Je devrais peut-être créer un Docteur Valentijn FM, vu que tout le monde semblait vouloir me faire part de ses problèmes, en ce moment. Et moi, je les partageais avec qui, hein, mes ennuis ? Personne ! Je laissais mon monde tranquille, moi ! En même temps, mon unique problème était que les autres me communiquaient les leurs. Entre Pandora qui ne voulait plus se marier, Gregor qui ne trouvait pas de travail parce qu’il n’avait pas bossé depuis sa sortie de l’université et Andreas pour qui je m’inquiétais outre-mesure (ce que je refusais d’admettre, évidemment), je ne savais plus quoi faire. Et j’avais peur que mes conseils ne soient pas de grande utilité. Voilà pourquoi j’appréhendais que Nelleke s’y mette aussi. Mais malgré tout, je l’écoutai attentivement.

Il ne me fallut pas plus d’un quart de seconde pour savoir quel était le cœur de son tourment, même si elle ne l’avait pas encore mentionné : Andreas. C’était le seul à se montrer agressif et désagréable à son égard. Moi, j’étais adorable, comme à mon habitude. Quant à Greg, il avait été plus que ravi par l’arrivée de notre demi-sœur. C’était certain, on avait dû modifier quelques-unes de nos coutumes, comme de descendre en caleçon le matin ou de se lancer dans des batailles de bière devant un match de football. Mais la nouvelle nous avait plutôt comblés. Une présence féminine, c’était un peu une figure maternelle, et on en avait besoin. Cependant, comme toujours, Andreas y avait mis son grain de sel, et maintenant, Nelleke ne devait avoir qu’une envie : partir. Il allait m’entendre quand je rentrerais à la maison. « Ecoute, Nelle, Andreas n’est pas un garçon sociable, avenant et compagnie. C’est même tout le contraire. Il est juste persuadé d’avoir ‘tué’ notre mère, preuve de son égoïsme sans faille, et nous ne sommes jamais parvenu à le raisonner. Ni notre père, ni Greg, ni moi. Et tu vois, il se comporte ainsi avec tout le monde. C’est parce que nous sommes civilisés, mais il y a des jours où je l’étriperais bien. Gregor le maîtrise plus ou moins, mais tu as compris comment était Gregor. » Je pris une grande respiration, car j’avais débité tout cela d’un trait. C’était normal, je servais le même discours à tous les gens qui se faisaient insulter par mon petit frère. Et il y en avait beaucoup. « Tu peux penser que c’est parce qu’il ne t’aime pas qu’il agit de cette manière, mais il fait même ça avec ses petites amies, qu’il est censé apprécier, au moins. Alors ne le prends pas pour toi, c’est un peu encore un adolescent en colère. Il ne faut pas faire attention, d’accord ? »

Mes deux frères et moi, nous avions tous trois des personnalités fortes et assez différentes. Si mon caractère avait été calqué au début sur Greg, on se demandait vraiment d’où Andreas avait tiré le sien. C’était deux personnalités positives et ultra heureuses contre une boule de mauvaise humeur. C’était une chance que mon camp ait l’avantage. Je regardai ma sœur d’un air surpris, lorsqu’elle dit que la réaction d’Andreas face à la mort de notre mère était stupide. Le pire, c’était qu’elle l’avait dit spontanément. D’habitude, les gens trouvaient que c’était une manière normale de faire son deuil, ce qui était une explication idiote. Se gâcher la vie pour oublier quelqu’un de proche, ça n’avait aucun sens. Mon père pensait de cette façon. Moi, j’avais toujours répété à Andreas que c’était un crétin de se sentir responsable pour ça, que notre mère aurait voulu le mettre au monde, même si elle avait su qu’elle allait mourir à l’accouchement. Je n’avais pas eu le temps de connaître énormément ma mère, mais je savais qu’elle aurait agi ainsi, juste parce que mon père la décrivait toujours de la sorte. Elle ne se laissait pas abattre pour des bêtises. Quand j’étais enfant, j’étais sûr qu’elle veillait sur nous, et tout particulièrement sur notre bébé Andreas. En grandissant, on ne se fait plus ce genre d’illusions, mais je donnerais n’importe quoi pour avoir une dernière fois cette sensation.

Nelleke s’excusa alors de ce qu’elle venait de dire et je revenais les pieds sur terre. Elle changea directement de sujet, après, me parlant de Niels. Transition que je ne compris pas franchement. « T’inquiète pas, tu as raison pour Andreas. Au bout d’un moment, tu n’y feras plus attention. » Je lui souris, essayant de me faire rassurant. C’était faux, Andreas, même après de longues années, me pourrissait toujours autant la vie avec ses histoires de culpabilité. Mais bon, Nelleke était moins impliquée, donc ça serait peut-être plus facile pour elle. Il s’attaquait à elle pour l’instant, mais il se lasserait vite. Il se dénichait constamment de nouveaux souffre-douleurs. Le seul qu’il ne laissait jamais tranquille, c’était moi. Il me haïssait plus que n’importe qui d’autre, sans doute parce que j’avais été le premier à lâcher prise sur son cas et à ignorer ses sentiments débiles. « Euh… Niels… Oui. Depuis qu’on est tout petit, on s’est rencontré à l’anniversaire de Pandora, je sais plus en quelle année. C’est un chouette gars. » Elle essayait de mieux nous connaître, d’accord. Mais… Que venait faire Niels dans l’histoire ? « Tu as le droit de poser des questions, tu sais. Pas besoin de te chercher des excuses à tout bout de champ. Il y a quelque chose avec Niels, au fait ? Parce que je ne suis pas certain de tout comprendre, là. »

De toute évidence, elle finirait par nous connaître par cœur. C’était inévitable en habitant dans notre maison, elle partageait notre vie. Elle pourrait tout savoir en un rien de temps, elle entendrait mes querelles avec Andreas, mes fous rires avec Gregor. Le mieux que l’on pouvait espérer, c’était qu’elle s’intègre parmi nous et qu’elle devienne un élément du décor, tout comme nous trois nous l’étions.